Comment poser ses limites

Pour rappel, la stratégie de confrontation est appropriée face aux agressions instrumentales et aux agressions fondées sur des relations inégales de pouvoir. Il s’agit de ne pas se laisser faire et de poser une limite au comportement dérangeant de l’agresseur.
Vous pouvez chercher de l’aide afin que d’autres posent des limites à votre place, par exemple en cherchant des alliées, ou en faisant appel à une autorité (police, chef, surveillant…). Mais vous pouvez aussi poser vous-même, directement, vos propres limites.

Voici quelques techniques très simples pour le faire

Poser une question antidote Parfois, une remarque transgresse nos limites et nous blesse.
C’est souvent le cas des critiques destructrices.
Cela peut aussi être le cas d’une remarque qui touche un de nos points vulnérables sans être forcément malintentionnée.
Dans les deux cas, vous pouvez répondre avec la question antidote.
Le principe est simple : Vous ne comprenez pas l’expression empoisonnée et vous demandez une explication, une définition.
Si l’agresseur vous dit : « Franchement, ton projet est complètement à côté de la plaque », vous pouvez répondre : « Qu’est-ce que tu veux dire par “à côté de la plaque” ? » sur un ton honnêtement intéressé.
Si l’agresseur s’est juste mal exprimé, il saura expliquer ce qu’il voulait dire, et vous aurez reçu une information importante. S’il a dit cela pour vous blesser, il trouvera peut-être une périphrase (« c’est que ce n’est pas en adéquation avec les besoins du terrain »), mais qui ne dira rien de plus concret que la première expression.
Vous pouvez, bien entendu, continuer à poser vos questions antidotes tant que l’agresseur reste dans le flou.
C’est une technique particulièrement efficace quand elle est utilisée en groupe, quand l’agresseur voulait vous « descendre » devant les autres, car l’agresseur se dévoile alors devant tout le monde comme quelqu’un qui, à vrai dire, ne sait pas de quoi il parle…

Mettre en question les motivations de l’agresseur
Nous pouvons aussi nous mettre en dehors de la situation et agir plutôt en observatrices de la manière de communiquer. Cela nous évite d’avoir à discuter inutilement pendant des heures sur le fond (le sujet de la discussion) alors que le problème se situe dans la forme (comment l’autre a transgressé notre limite).
Quand vous voulez clarifier une fois pour toutes qu’il y a non seulement un comportement dérangeant et répétitif, mais qu’il y a des motivations pas tout à fait bienveillantes derrière, vous pouvez mettre en question les motivations de l’agresseur.
Cela met l’agresseur devant ses responsabilités et peut même l’aider à se rendre compte que quelque chose ne va pas au mieux chez lui.
Exemples : « Qu’est-ce que cela t’apporte de me critiquer devant tout le monde au lieu de venir d’abord en parler avec moi ? » « Pourquoi est-ce tellement important pour toi que je sois la seule responsable d’un problème qui nous concerne tous les deux ? »

Clarifier les règles du jeu 
Dans des situations plus graves où l’agresseur a du pouvoir sur vous, il n’est pas toujours possible de poser des limites sans prendre de risques, par exemple si l’agresseur est un professeur lors d’un examen, un/e juge qui décide de la garde des enfants, etc. Dans ces cas-là, vous pouvez vous montrer diplomate et clarifier les règles selon lesquelles vous êtes prête à jouer le jeu.
Il est difficile pour l’agresseur de se prononcer ouvertement contre ces règles de politesse ou de sens commun.
Exemples : « Je préfère ne pas mélanger le privé et le professionnel. » « Je voudrais que l’on continue la discussion sur un ton plus calme. » « Je propose que chacun explique sa position à son tour sans être interrompu.»
La technique des trois phrases :
Et après ces quelques astuces pour des situations spécifiques, voici venu le temps de sortir l’artillerie lourde, ma technique passe-partout ! Je l’appelle la technique des trois phrases, parce qu’elle consiste, ô surprise, en trois phrases.
Selon mon expérience personnelle, cette technique fonctionne très bien dans toutes les situations dérangeantes : avec des proches aussi bien qu’avec des inconnu/e/s, dans la rue aussi bien qu’à la maison, au téléphone aussi bien que face à face. Ce procédé nous permet de poser efficacement nos limites dans des situations embarrassantes (par exemple à connotation sexuelle) sans pour autant avoir à couper tous les ponts avec l’agresseur, de sorte que notre éventuelle relation avec lui puisse tout de même continuer (par exemple s’il s’agit de ne pas perdre un travail).
Comme la technique des trois phrases peut au besoin prendre des formes très « soft », vous pouvez aussi très bien l’utiliser face à des personnes qui ont du pouvoir sur vous, sans vous mettre ces personnes à dos (le chef, la fonctionnaire de l’immigration, l’assistant social qui décide de votre dossier…).
Voici comment ça marche, en trois étapes :
- 1re phrase : décrire le comportement dérangeant Oui, vous avez bien lu, je vous demande de constater l’évidence. La première phrase est en effet une description simple et objective de « ce que l’on peut voir ». Les analyses, les termes plus globaux (par exemple « agression », « harcèlement ») et les procès d’intention sont à éviter. Vous vous concentrez sur ce qui se passe et vous le dites. Dire le réel vous donne une position forte, une position que l’agresseur pourra difficilement remettre en question. Si vous parliez de ses intentions supposées, la porte serait au contraire grande ouverte pour qu’il nie, discute, etc. Le fait de prendre la position de l’observatrice vous permet aussi de prendre du recul mental, de mieux gérer vos émotions. Cette première phrase confronte l’agresseur à son comportement, elle le met devant ses responsabilités. Cela lui laisse une porte de sortie, car il peut éventuellement dire : « Ah oui, c’est vrai, excuse-moi. » S’il ne se rétracte pas, cette phrase lui collera une étiquette impossible à enlever. Dans certains cas, le simple constat explicite de la situation peut déstabiliser un agresseur au point qu’il arrête tout de suite, surtout quand il y a des témoins. Imaginez-vous dans un bus bondé. Tout d’un coup, vous sentez une main vous tripoter les fesses. Si vous dites : « Salaud, laisse-moi tranquille ! », personne ne sait de quoi vous parlez et on va vous prendre pour une hystérique. Mais si vous dites : « Monsieur, vous avez votre main sur ma fesse », ce qui se passe est clair, les gens vont regarder, pourront éventuellement prendre votre parti et vous venir en aide, et surtout, c’est l’agresseur qui se tape la honte. N’hésitez donc jamais à prendre l’initiative en jouant cartes sur table et en donnant vous-même un nom à ce qui se passe. Il s’agit d’un pouvoir de définition qui donne une réalité à ce qui se passe dans le non-dit et qui ne peut souvent continuer que grâce à ce silence. Exemples : « Vous avez votre main sur ma fesse. » « Tu ne me laisses pas finir ma phrase. » « Vous me regardez entre les jambes. » « Tu m’appelles “grosse vache”. » « Tu n’as pas rangé tes chaussettes. » « Vous me faites un compliment sur mes beaux yeux. »

- 2e phrase : Décrire le sentiment que ce comportement provoque chez nous
Bien sûr, dans certaines situations, la première phrase suffit à elle seule pour que l’agresseur ne sache plus où se mettre. Mais nous ne nous arrêtons pas là pour autant. Il nous reste encore des choses importantes à dire. Ce n’est pas parce que nous avons dit ce qu’il fait qu’il va faire ce que nous voulons. Il faut aussi nous assurer que tout le monde a bien compris que nous ne sommes pas d’accord. Nous disons donc dans un deuxième temps quel effet émotionnel la transgression de limites a sur nous et sur notre bien-être. Souvenez-vous : il ne s’agit pas d’expliquer ce que nous ressentons. Ce serait trop proche d’une justification, et nous n’avons pas à justifier nos émotions. Nous le confrontons donc aux conséquences de son comportement sur nous. L'intérêt de nous limiter à notre ressenti est qu’il s’agit d’un constat que l’agresseur aura du mal à réfuter. Vous êtes la seule personne au monde à savoir comment vous vous sentez ! Votre émotion devient donc la raison indiscutable pour laquelle l’agresseur doit respecter vos limites. Et, bien sûr, parler de nos émotions nous aide déjà à mieux les maîtriser. Attention à ne pas confondre : des phrases comme « c’est inadmissible », « c’est impoli », « ça ne se fait pas » ne sont pas des descriptions de notre ressenti, mais des jugements de valeur, qui n’ont pas leur place ici. Voici par contre quelques exemples de constats subjectifs que vous pouvez utiliser comme « seconde phrase » : « Je n’aime pas ça. » « Ça m’énerve. » « Ça me met mal à l’aise. » « Je ne trouve pas ça drôle. » « Je ne suis pas d’accord. » « Ça me dégoûte. »

- 3e phrase : faire une demande concrète À présent, notre « pauvre » agresseur ne sait plus quoi faire. Alors nous le lui disons. Dans la majorité des cas, il suffira de lui demander clairement d’arrêter son comportement dérangeant, mais il est encore plus efficace de lui donner une alternative, formulée de manière positive. La troisième phrase limite encore les choix de l’agresseur et nous donne davantage de pouvoir. Si nous nous contentions en effet du constat de la transgression, l’agresseur pourrait adopter une attitude de « et alors ? » ou tester un autre comportement, tout aussi dérangeant que le premier. En prenant l’initiative, nous restreignons sa marge de manœuvre, et cela accroît la probabilité pour nos besoins d’être respectés. Encore une fois, si nous ne disons pas ce dont nous avons besoin, personne ne le fera à notre place. Formuler une exigence concrète ne nous donne certes aucune garantie d’obtenir ce que voulons, mais c’est la condition sine qua non pour y arriver. Exemples : « Arrête. » « Enlevez votre main de là tout de suite. » « Ne le fais plus jamais. » « Je veux que tu fasses plus attention à l’avenir. » « On en reparlera quand tu te seras calmé. » « Je préfère qu’on en reste là. »

LA TECHNIQUE DES TROIS PHRASES, RÉCAPITULATIF : 
1. Description : décrire le comportement qui nous dérange. 
2. Émotion : exprimer notre ressenti par rapport à ce comportement. 
3. Ordre : faire une demande explicite et concrète.

Ces trois phrases peuvent être adaptées à n’importe quelle situation. Plus elles sont courtes et claires, plus elles sont efficaces. Par exemple « Tu m’ colles, j’aime pas, recule » est une version minimaliste où il y a tout ce qu’il faut. Les trois phrases peuvent aussi s’avérer très utiles face à quelqu’un qui nie toute agression. Exemple : « Tu dis que je ne devrais pas me sentir mal à l’aise. Je ne me sens pas respectée. Accepte que je sache mieux que toi comment je me sens. »
Autre exemple, face à quelqu’un qui fait des monologues : « Vous ne me laissez pas en placer une. Ça me stresse. Écoutez ce que j’ai à dire. » Ou encore, face à quelqu’un qui ne fait pas d’efforts pour s’exprimer de manière compréhensible : « Tu parles par énigmes. Je ne comprends pas. Explique-moi ce que tu veux dire. »
Les trois phrases sont d’ailleurs parfaitement combinables avec la technique du disque rayé : si l’agresseur n’arrête pas tout de suite, nous répétons les mêmes trois phrases jusqu’à ce qu’il ait compris ou qu’il se lasse. Les trois phrases sont encore et surtout un instrument très précieux pour mettre un terme à des situations où un/e proche transgresse nos limites sans le vouloir, avec la meilleure intention du monde. Comment le lui faire comprendre sans qu’elle ou il se sente rejeté/e ? Comment rester malgré tout en bons termes ? Rappelez-vous de notre ami Jean-Pierre, éperdument amoureux de vous. Vous pouvez très bien lui expliquer, en trois phrases, de la manière la moins blessante possible, que c’est sans espoir : « Jean-Pierre, j’ai l’impression que tu veux plus qu’une simple amitié. Je suis triste de ne pas ressentir la même chose. Je voudrais qu’on en reste là. » Ou cette amie qui vous montre ses poèmes ou ses tableaux, que vous trouvez affreux : « Hakima, tu me demandes mon avis. Je me sens coincée entre ne pas vouloir te mentir et ne pas vouloir te blesser. J’espère que tu peux voir ça comme un signe de mon amitié si je te dis honnêtement que je ne les aime pas. » Ou votre mère qui vous appelle tout le temps pour vous reprocher que vous ne l’appelez pas assez : « Maman, tu dis que je ne pense pas à toi. Ça me blesse. Laisse-moi le temps de t’appeler à mon aise. » Vous voyez, même des situations compliquées où nous ne savons souvent pas quoi dire peuvent être miraculeusement sauvées par les trois phrases. Bien sûr, ni Jean-Pierre, ni Hakima, ni Maman ne vont aimer ce que nous avons à leur dire. Mais parce que nous sommes sincères, claires et directes, nous leur rendons l’acceptation plus facile.

Cet article est tiré du livre de Irene Zeilinger : "Non c'est non" petit manuel d'autodefense à l'usage des femmes qui en ont marre de se faire emmerder sans rien dire"

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